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Revenir sur l’interdiction des armes à sous-munitions, c’est mettre en danger la vie des civils et affaiblir le DIH

Dans une école à Kiev, une collaboratrice du CICR spécialisée dans la contamination par les armes anime une séance visant à sensibiliser les enfants aux risques ainsi qu’aux comportements à adopter – Archives audiovisuelles du CICR

Genève, 6 mars 2025 – Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) déplore vivement le retrait sans précédent de la Lituanie de la Convention sur les armes à sous-munitions, lequel prend effet aujourd’hui. Dans les zones de conflit, les armes à sous-munitions tuent et blessent des civils et endommagent les habitations, les hôpitaux et les écoles, sans compter l’héritage meurtrier de sous-munitions non explosées qu’elles laissent derrière elles. Cette menace risque d’être aggravée si un État décide de réintroduire les armes à sous-munitions dans son arsenal militaire. En outre, le retrait de tout État d’un traité de droit international humanitaire (DIH) érode les protections humanitaires qui sauvent des vies en temps de guerre et déchire le tissu du droit international. 

Les armes à sous-munitions causent des dommages inacceptables. Elles dispersent un très grand nombre de sous-munitions explosives sur plusieurs milliers de mètres carrés, lesquelles atterrissent souvent bien en dehors du périmètre de la zone cible. De plus, un grand nombre de sous-munitions n’éclatent pas, et des quartiers urbains, des forêts et des champs se trouvent ainsi pollués par des engins explosifs meurtriers.

Dans presque tous les contextes où elles ont été utilisées au cours des dernières décennies, que ce soit en Afghanistan, au Yémen, au Laos ou au Liban, les armes à sous-munitions ont fait payer un lourd tribut aux civils, aussi bien pendant les combats qu’après la fin des opérations militaires. La présence de restes d’armes à sous-munitions constitue une grave menace pour tous – des habitants des villes qui fouillent les décombres de leurs maisons détruites aux bergers qui s’occupent de leurs troupeaux. Les familles déplacées ne peuvent pas rentrer chez elles en toute sécurité, et l’accès aux hôpitaux est entravé, tout comme la reconstruction des infrastructures vitales telles que les routes, les pompes à eau et les centrales électriques.

Les enfants sont particulièrement vulnérables aux sous-munitions non explosées. Parfois très colorés et entourés d’un ruban, ces petits engins attirent l’œil des enfants, qui les prennent pour des jouets. Mais ils peuvent exploser et faucher des vies à tout moment, dès la moindre manipulation. Le chemin de la guérison est long pour ces jeunes victimes, dont certaines ne retrouvent jamais l’usage de leurs jambes. Selon le dernier rapport de l’Observatoire des sous-munitions, le Cluster Munition Monitor, les enfants représentaient près de la moitié (47%) des victimes des restes d’armes à sous-munitions en 2023.

L’enlèvement des sous-munitions non explosées est une tâche difficile et dangereuse. Chaque année, des personnes œuvrant à l’élimination de la menace que représentent ces engins à déclenchement instantané sont tuées ou mutilées. Il faut souvent des années, voire des décennies, pour que le danger soit écarté. La Bosnie-Herzégovine, par exemple, ne s’est officiellement déclarée exempte d’armes à sous-munitions qu’il y a deux ans, c’est-à-dire près de 30 ans après la fin de la guerre de Bosnie. Aujourd’hui encore, les armes à sous-munitions font payer un lourd tribut aux civils, car elles continuent d’être utilisées, notamment dans le cadre du conflit armé entre la Russie et l’Ukraine.

Afin de mettre un terme définitif aux souffrances et aux pertes causées par ces armes terribles, 124 États ont signé la Convention sur les armes à sous-munitions et 123 sont toujours liés par ce traité aujourd’hui. Adoptée en 2008, la Convention interdit l’emploi, le stockage, la production et le transfert d’armes à sous-munitions. Ce traité humanitaire historique a permis de sauver d’innombrables vies. Les États parties ont détruit plus d’un million de stocks d’armes à sous-munitions, et ont déminé et remis à la disposition des populations de vastes superficies de terre afin qu’elles puissent les cultiver.

Le CICR et les autres composantes du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge soutiennent depuis longtemps l’interdiction des armes à sous-munitions. Dans le cadre de leur travail de prévention des accidents et d’assistance aux victimes, les volontaires et le personnel du Mouvement ont pu constater de visu les effets dévastateurs de ces armes.

La Lituanie est le premier État à se retirer de la Convention sur les armes à sous-munitions. Par ailleurs, aucun État n’a jamais dénoncé un traité humanitaire mondial. Le CICR regrette profondément que la Lituanie n’ait pas tenu compte de l’appel l’exhortant à reconsidérer sa décision, lancé par les États parties à la Convention en septembre 2024.

Compte tenu du contexte géopolitique de plus en plus tendu, le CICR craint un affaiblissement du DIH si des États décident, en invoquant des raisons de sécurité nationale, de se retirer d’accords internationaux durement acquis qui limitent l’utilisation d’armes causant des dommages inacceptables. Si la situation mondiale en matière de sécurité ne cesse d’évoluer, le coût humain effroyable engendré par l’utilisation d’armes à sous-munitions, de mines antipersonnel et d’autres armes odieuses reste inchangé. 

Comme l’a relevé la présidente du CICR, Mirjana Spoljaric, « le droit international humanitaire n’est pas écrit pour les temps de paix et les lendemains qui chantent. Il existe pour les jours les plus sombres de l’humanité, quand les conflits armés font rage et que les populations sont gravement menacées. »

Tout retrait d’un traité humanitaire réduit les protections juridiques accordées aux victimes de la guerre. Il incombe à tous les États de défendre et de renforcer les normes internationales visant à atténuer les horreurs de la guerre. Pour préserver l’humanité, même en période de conflit armé, nous devons impérativement consolider les cadres humanitaires qui protègent les personnes vulnérables.

En conséquence, le CICR appelle les États parties à la Convention sur les armes à sous-munitions à :

  • rester fermes dans leur détermination à œuvrer pour un monde exempt d’armes à sous-munitions et honorer leur engagement à condamner l’utilisation d’armes à sous-munitions par quelque partie que ce soit. 

Le CICR appelle en outre tous les États à :

  • ne pas se retirer de la Convention sur les armes à sous-munitions ni de tout autre traité humanitaire, ni les contourner, mais au contraire contribuer à ce que tous les États adhèrent sans tarder à ces instruments ;
  • réaffirmer publiquement l’importance des restrictions humanitaires en temps de guerre et prendre des mesures positives pour renforcer le respect du DIH ;
  • sensibiliser le public au fait que le désarmement et le DIH peuvent sauver des vies, et l’aider à comprendre les risques qu’impliquerait tout affaiblissement de la protection apportée par ces efforts et cette branche du droit.

À propos du CICR

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est une organisation neutre, impartiale et indépendante dont le mandat strictement humanitaire découle des Conventions de Genève de 1949. Il porte assistance aux personnes touchées par un conflit armé ou d’autres situations de violence partout dans le monde, mettant tout en œuvre pour améliorer leur sort et protéger leur vie et leur dignité, souvent en collaboration avec ses partenaires de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.

Informations complémentaires :

Aurélie LACHANT, CICR Genève, tél. : +41 79 731 04 03, e-mail : alachant@icrc.org 

Phonsavan, Xieng Khouang province, UXO Lao field office. Cluster munitions still intact in their cases, which failed to explode.
Jim Holmes/ICRC